En hommage à un écrivain vaudois

    A sa mort, survenue le 18 mars 1979, le poète Etienne Chevalley (1920-1979) laissait une importante œuvre inédite. Pour répondre au désir du défunt, ses amis ont entrepris, peu après son départ, la publication progressive de travaux littéraires variés. En effet, Chevalley a abordé de nombreux genres, poèmes, nouvelles, pièces de théâtre, essais, journal intime, etc.

    Mais laissons l'intéressé se présenter lui-même :

    «L'âge de ma vie ne m'est point connu. Des fleuves de tendresse obstinée ont coulé comme l'orgue sur les marches du Temps...»

    avais-je écrit dans un poème de MAREES. Il y a de cela dix-neuf ans. Pour l'état-civil, oui, il est entendu que je suis né le 19 novembre 1920, à 3 heures 16 du matin (...) Mais le public aime qu'on lui dessine une vie comme une succession de chaînes de montagnes, avec des précipices à la mesure des sommets - exaltants ! si j'en vécus, c'est comme en rêve, avec des interférences : le beau dessin qu'on attendait est impossible à esquisser. A défaut, quelques notations et points de repère.

    Dès l'enfance, dans un monde «à part». C'est à le protéger contre la dureté d'un monde fantoche que je m'appliquerai, «car rien n'est vrai sinon le songe». (...)

    1947 : rencontre de René Huyghe, décisive : il croit en mon avenir d'écrivain. Je sacrifie la peinture (j'avais sacrifié déjà la musique).

    Mais les contingences matérielles rendent la piste rocailleuse, cependant que les drames la hachent à coups de crevasses. A chaque fois pourtant une passerelle est trouvée.

    Entre-temps, en 1952, parution de MIRACLES DE L'ENFANCE (Guilde du Livre) et création de cours de peinture libre pour enfants - et parallèlement de flûte douce - à Lausanne, puis à l'enseigne parisienne de l'Art Joyeux (1953-1955). Donc deux ans à Paris, où émerveillement et désespoir nouent un dialogue serré. Mais l'émerveillement l'emporte, malgré la défaite matérielle. (...)

    En «préparation» (depuis un temps indéterminé) : six ou sept recueils (si je compte des contes pervers divers - et si je ne compte pas journaux intimes, correspondance, articles, romans, théâtre...)

    Sur mes poèmes après MAREES (les plus importants, de l'avis unanime ou presque de ceux qui en ont lu, ou entendu sur les ondes) deux jugements extrêmes parmi d'autres :

    «Nous tenons à ne publier que des œuvres qui s'imposent à nous par l'évidence de leur nécessité. Disons-le en toute franchise, nous n'avons pas eu ce sentiment avec vos poèmes ou si vous voulez, le courant n'a pas passé. - Il est toujours difficile de s'expliquer ces choses (...).»

Michel Dentan

    «J'ai lu et relu votre poème. Pourquoi jetez-vous au vent vos poèmes ? Ils sont si étranges, si beaux, je les sens comme étant la poésie elle-même... Excusez-moi, je ne sais pas bien exprimer ce que je ressens.»

Catherine Colomb

    Donc ce n'est pas de «deux jugements» mais de deux sentiments qu'il faut parler. Cela est plus terrible en un sens - et plus passionnant.

Etienne Chevalley (extraits de son «Curriculum vitae», écrit en 1968)